Billets d'humeur

La sœur que je n’ai jamais eu…

Je ne sais pas vous mais moi je n’ai pas de sœur. J’envie toujours un peu les femmes qui parlent de leur frangine comme d’une véritable amie, un soutien, une confidente. Ont-elles tenté de se tenir éveillées le soir du 5 décembre pour descendre voir au milieu de la nuit quel cadeau Saint Nicolas leur avait apporté? Ont-elles pleuré ensemble quand leurs parents étaient fâchés et qu’aucune des deux ne voulait dire laquelle avait cassé le vase du salon? La cadette a-t-elle menti pour couvrir son aînée quand celle-ci allait embrasser son amoureux au coin de la rue? La grande est-elle allée recadrer le sale gosse qui embêtait la petite pendant la récréation? Se sont-elles maquillées devant le même miroir puis battues pour avoir le sèche-cheveux? L’une d’elle a-t-elle aidé l’autre à choisir sa robe de mariée? Laquelle a ouvert en premier un paquet contenant des chaussons et une carte indiquant “Tu vas bientôt être tata”? J’aime bien imaginer ce qu’aurait pu être ma vie avec une sœur. Mais si ça se trouve, le tableau est moins charmant dans la réalité que dans ma tête.

Moi, ce que j’ai, c’est une fausse cousine. Fausse parce qu’en réalité, nous n’avons aucun véritable lien de parenté. Cousine parce que nous avons grandi ensemble et que nos parents respectifs se voyaient et s’aimaient comme des frères et des sœurs. Et puis il y avait ce fil croisé qui nous semblait donner une certaine légitimité au terme “cousine”: sa mère était ma marraine et ma mère était sa marraine.

Lorsque nous étions vraiment toutes petites, on nous mettait dans le même parc. La pauvre enfant. Cela lui a valu de se faire arracher une poignée de cheveux, que l’on a mystérieusement retrouvée dans mon poing serré. Évidemment, nous n’en avons aucun souvenir. Trente-sept ans plus tard, je n’exclus toujours pas la possibilité que cet acte ait été commis par un méchant lutin apparu et disparu comme par magie. Un être maléfique qui s’était donné pour mission de saboter notre amitié naissante. En tout cas, je jure que ce n’était pas moi. Ou alors pas exprès, en tout cas.

Au fur et à mesure que nous avons grandi, j’ai découvert une fille douce et gentille. J’adorais aller dormir chez elle. Là où elle habitait, il était encore possible de s’amuser dans la rue avec les voisines, de partir à pieds à l’épicerie du coin pour acheter des chewing-gums qui explosaient dans la bouche. Elle était ma meilleure copine de jeu. On dessinait la mode sur un grand plateau rond, on faisait tourner des roulettes en cascade pour voir laquelle arriverait à faire tomber tous les pions de l’autre, on nourrissait des hippopotames gloutons avec des billes blanches en faisant un vacarme de tous les diables. Et puis il y avait les journées passées avec nos deux familles réunies autour d’un repas ou d’une table de pique-nique. Des promenades, des rires. De merveilleux souvenirs. Je sais maintenant que ce qu’on s’échange pendant l’enfance dure bien plus longtemps que ce qu’on ne croit.

 

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Nous nous sommes encore rapprochées lorsque nous sommes entrées en secondaire et que nous avons atterri dans la même classe. Ces années-là ont fait passer notre amitié à un niveau supérieur. Les sentiments et les émotions de l’adolescence sont tellement intenses que ceux avec qui on les vit et on les partage gardent une place spéciale dans notre cœur. Il y a eu des demi-mensonges à nos parents pour aller au bal, un séjour à la mer totalement mémorable, des cours de néerlandais avec un prof formidable. Je ne cache pas que les trois dernières années ont été faites de hauts et de bas. À cause de mon arrogance de l’époque, je pense. De mon manque de flexibilité, déjà.

À l’issue de nos humanités, le destin nous a montré que nos vies devaient continuer à s’entremêler. Nous nous sommes retrouvées dans la même ville pour faire nos études supérieures. Dans la même université. Dans la même “fac”. Avec la moitié de nos cours en commun. Et son kot à trois cents mètres du mien. Bien sûr, nous avions chacune notre cercle d’amis. Mais nous nous retrouvions régulièrement, nous nous amusions des mêmes choses, nous stressions ensemble avant les examens. Et puis nous sortions pas mal. Mais elle était toujours au cours le lendemain malgré son manque de sommeil. Alors que moi, il m’arrivait de commencer ma semaine le jeudi après-midi, tranquillou. On en riait toutes les deux.

Lorsque nous avons terminé l’unif, elle est restée vivre d’un côté du pays. Moi je suis allée m’installer à l’autre bout. Pourtant, sur le papier que j’ai signé à la commune disant que je suis officiellement la femme du chéridam, il y a aussi sa signature. Elle était là ce jour-là, comme elle l’avait toujours été pour moi.

Et puis et puis et puis. L’éloignement? Le manque de temps? La vie? Je me creuse, je cherche des excuses. En réalité je n’en ai pas. Je suis tout simplement inexcusable. Parce qu’elle a ensuite connu des coups durs monumentaux. Et que je n’ai pas été là pour elle.

Il m’a fallu plusieurs années pour surmonter ma honte et revenir vers elle. Elle m’a accueillie sans amertume, avec sa gentillesse habituelle. Puis on s’est redécouvertes. Retrouvées. Elle est épatante. Elle a dans le regard la force de ceux qui ont survécu et qui se sont reconstruits. La sagesse aussi. Elle scrute la vie pour y dénicher un maximum de belles choses, s’arrête au bord de la route pour photographier un lever de soleil ou un fossé rempli de coquelicots. Elle est créative dans sa cuisine, dans sa maison, dans son jardin. Nous ne nous voyons pas très souvent mais les moments que nous passons ensemble sont toujours riches de sens.

Alors, peut-être que je n’ai pas de sœur. Mais j’ai une fausse cousine qui est une véritable amie. Et aujourd’hui, c’est son anniversaire.

Elise, en 1.500 signes ou plus…

www.zellesofeminin.be

Zelles

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