Il est des graines qui poussent sagement là où on les plante. Il en est d’autres qui se laissent emporter sur le dos du vent en toute confiance. La belle aventure! À l’issue d’un long parcours dans les airs, elles atterrissent en douceur dans un sol accueillant. Dans une bonne terre, nettement plus riche que celle qu’elles ont quittée. Toutes les conditions sont réunies pour qu’elles deviennent de belles fleurs robustes aux couleurs chatoyantes. Alors elles se développent et poussent et fleurissent. C’est pour ça qu’elles sont là, de toutes façons. Pour profiter de cette chance.
Je fais partie de ces graines tombées du ciel. Et certains souvenirs me reviennent comme des flashes. Dans mon nouveau jardin, toutes les fleurs sont rouges. Je suis la seule violette. Ça me gêne un peu début. J’aimerais bien être comme les autres. Puis je comprends que ma différence est aussi une force. Alors je m’intègre harmonieusement. Mais ma terre d’origine, je n’en parle jamais. Je n’en rêve jamais. Parce que je pense que pour écrire une belle histoire, il faut forcément commencer sur une page vierge. Alors, à défaut de pouvoir les gommer, je nie les quelques gribouillis balbutiants qui me semblent entacher le début de mon cahier. Et puis cette terre, là-bas très loin, elle est tellement pauvre qu’elle aurait fait de moi une fleur toute vilaine et rachitique. Alors pourquoi y penser encore? La regretter? Sûrement pas. La découvrir? Inutile. Ma vie est ici. Et surtout, je ne veux pas que les gentils jardiniers qui prennent soin de moi pensent qu’il me manque quoi que ce soit alors qu’ils me donnent tout. Alors qu’ils sont ma pluie et mon soleil, qu’ils m’apportent lumière et chaleur, qu’ils me nourrissent et me protègent. Non, je suis une bonne et brave petite fleur. Je suis gratitude gratitude gratitude. Alors je me convaincs qu’il n’y a plus rien pour moi là-bas.
Mais au fil des ans, les choses évoluent. Je suis une plante solide et robuste désormais. Voilà presque quarante ans que je m’épanouis dans mon environnement. J’ai des racines profondes et j’abrite sous mes pétales deux petites fleurs de couleur bordeaux. J’ai connu des printemps doux comme de la soie et des automnes multicolores mais aussi des étés arides et des hivers rigoureux. J’ai bravé quelques orages et l’une ou l’autre tempête. Mais j’ai toujours su me redresser. Puis vient un moment où j’ai l’impression d’avoir fait le tour de moi-même. Tout est en ordre. Sauf un petit trou. Un petit vide que je croyais avoir colmaté mais qui ne l’est visiblement pas. Il y a là l’appel des îles et des rizières. Mais je n’ai pas envie de l’entendre alors je me bouche les oreilles. J’ai autre chose à faire que de rêver à un pays fantôme. Et pourtant, ma terre m’invite. Oh, elle reste discrète et douce. Elle ne crie pas, elle n’ordonne pas. Elle se contente de chanter. Un chant profond et intense. Une symphonie de gazouillis et de vagues, de rires et de carillons. Alors cette musique gagne mes oreilles, puis ma tête, puis mon cœur, puis mes tripes. Comment y résister? Et d’ailleurs, pourquoi y résister? Mes arguments d’antan me semblent dérisoires.
Alors, un jour, un déclic se produit. L’invitation débouche sur une envie. Cette envie est exprimée avec des mots. Ces mots rencontrent soutien et bienveillance. Et tout apparaît comme une évidence. Même les astres s’alignent. C’est ainsi que me voilà avec un projet concret: quarante ans après ma première traversée du globe, je vais faire le voyage à l’envers. La belle aventure, à nouveau.
J’ai encore de nombreux mois pour baliser l’itinéraire. C’est délibéré. Parce que je sais qu’il me faudra du temps pour organiser cette expédition. Mais ce n’est pas grave: le simple fait de la rêver est déjà un voyage.
Je n’ai aucune idée de ce qui m’attend là-bas. Je verrai bien. Je fais confiance au vent, comme à l’aller. En tout cas, je suis vraiment heureuse à l’idée de retourner sur ma terre d’origine. Parce que j’ai beau m’être parfaitement adaptée au jardin qui m’a accueillie, chaque fois que je ferme les yeux, j’entends les nuages et la terre et la lune me souffler que, sur le grand chemin de la vie, il est important de savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va.
Merci à Elise, en 1.500 signes ou plus pour ce magnifique billet
Zelles Ô Féminin
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