Je suis enseignante… pas depuis très longtemps « officiellement » : c’est ma troisième année… mais l’enseignement, (aussi sirupeux ou bateau que cette affirmation puisse paraître) a changé ma vie… je pourrais en parler en long, en large et dans le détail… en tant que parent, en tant que prof… en tant qu’élève… et je le ferai sûrement, un jour.
Mais là, aujourd’hui, ce que je veux, c’est de faire un petit appel du pied à ma classe de 1S… vous savez ce qu’est la 1S ? C’est la classe de ceux qui « ne redoublent point » mais sont supposés bénéficier d’une année de remédiations « pour leur laisser le temps d’atteindre les compétences requises »… idéalement en étant intégrés dans une classe de 2e tout en remplaçant leurs cours à « option » par du soutien : en français, en math… selon leurs besoins. Et dans certains établissements, c’est ce qu’on essaie de faire ! Et c’est admirable ! Et motivant tant pour les élèves que pour les profs ! Mais dans d’autres… mettre les élèves en 1s consiste à rassembler dans une classe tous les petits « doublants » traduisez laissés pour compte, inadaptés, mal orientés où juste… précoces. On y trouve de tout… je vous laisse imaginer l’impact que cela a sur la vision qu’ils ont d’eux-mêmes…
Alors je tairai le nom de l’école, celui des élèves mais… j’ai envie de partager, ici, aujourd’hui, un petit texte écrit pour eux, avec amour (mais oui, j’aime mes élèves), avec exaspération (ce sont des ados, n’oubliez pas), avec espoir… parce que si j’ai choisi en fin de compte ce métier c’est que j’espère… que je crois… en l’humain, en eux…
Alors pour eux, cette petite bafouille…
Tu es là, au fond de la classe… tu viens de trouver le point d’équilibre idéal afin de pouvoir tournoyer lentement sur un pied de chaise, un seul ! Tu n’es pas peu fier du résultat… tu écoutes d’un air distrait ce que l’enseignante est en train de dire et tu n’en retiens que quelques mots vagues par-ci par là, juste ce qu’il faut pour répondre approximativement au cas où l’idée saugrenue de t’interroger lui passerait par la tête…
Tu essaies de copier le texte, particulièrement illisible – ton prof d’histoire écrit comme un vieux médecin de campagne – du tableau noir, tout en, de la main gauche, envoyant des sms à ton frère, histoire de lui rappeler qu’il doit absolument télécharger le dernier épisode de je ne sais quelle série ab-so-lu-ment extraordinaire… Tu es consciencieux, et tu fais ton job : la preuve, tu notes. Tu ne sais pas ce que tu notes… mais tu notes ! On ne peut rien te reprocher ! Et en même temps… tu « textotes », tu « triches » et ça fait des guilis au fond de ton bide… hé hé, je l’ai eue la vieille, elle ne m’a pas vu/e.
Tu toises la classe d’un air arrogant, maquillée comme un camion, ne comprenant pas trop ce qui se dit mais faisant semblant de t’en moquer… c’est plus valorisant de s’en « contre-foutre » que d’avouer qu’on est larguée… tu es triste parfois, mais tu essaies vite de l’oublier, tu te sens enfermée dans l’école mais seule à l’extérieur… tu veux être ici et là-bas en même temps…
Dans chaque cas de figure, tu restes bien décidé/e à « nier » ce système, et à y faire le moins d’efforts possibles, juste ce qu’il faut pour ne pas être « jeté » de l’école, juste ce qu’il faut puisque de toute manière, l’an prochain « tu passes »… et tu es fier/fière de ton attitude ! Tu es fier/fière d’être une rebelle, ou une emmerdeuse… et pourquoi pas ?
Mais en quoi es-tu un/une rebelle ? En quoi es-tu un/une emmerdeuse ? En quoi cette attitude passive, immature t’aidera à changer ta vie… Voire celle des autres ?
En rien. Je te l’affirme. En rien. Parce que tu es à côté de la plaque…
Se rebeller, oui, c’est clair. Ce qui se passe autour de nous est moche… et souvent n’a aucun sens… emmerder le système, les adultes, les profs… c’est notre raison d’être – l’adolescence qu’ils appellent ça, parce que depuis le 20e siècle on lui a même donné un nom – mais dans quel but ? Tu y as déjà pensé ?
As-tu jamais songé qu’en fait, toi, le « raté » ou le « je m’en foutiste » ou « l’insolente » tiens dans tes mains le futur de demain ? Quelle idée… ? Et pourtant… fais un tour vers les livres d’histoire… et lis entre les lignes… c’est rempli d’emmerdeurs… parce qu’il faut être un sacré emmerdeur pour changer les choses !
Tiens prends le Jules là, César… oui la tête de piaf des Astérix, celui qui date d’avant Jésus-Christ… il a tellement cassé les pieds de son beau-père (un certain Pompée) que ce dernier pour s’en débarrasser lui a passé une petite armée pour qu’il aille conquérir les Gaules… ce que le Jules a fait admirablement… sans oublier qu’à son retour au pays, il a déclaré la guerre civile au dit Pompée (oui, le même, le beau-père). De fil en aiguille, il s’est quand même fait proclamer général puis dictateur (sympa non ?), puis membre du sénat et consul à vie ! On a même inventé un nouveau mot pour tout ça : Imperator…. Ça ne te dit rien ? Hé oui, c’était un fameux le César… comme il perdait ses cheveux, il coiffait le peu qui lui restait vers l’avant du crâne pour masquer sa calvitie… mais au moindre coup de vent, hop, la boule à zéro ! Il a fini par faire voter une motion qui l’autorisait à porter sa couronne de laurier en permanence… comme ça il pouvait caler sa grosse touffe grise sur la tête… quel emmerdeur quand même !
Et l’autre, le Colombo ? Non, pas le détective à l’œil de verre, le petit rital qui a fait le pied de grue chez les souverains d’Espagne pendant des semaines pour qu’ils financent une expédition. C’est que le gaillard, contrairement à ce qui se disait à l’époque, était persuadé que la terre était ronde… et que donc il pouvait atteindre les Indes en choisissant la route panoramique… hé hé… en désespoir de cause, il lui filèrent trois vieux rafiots pourris jusqu’à la moelle, espérant qu’il coulerait avec et qu’ils en seraient débarrassés… il a quand même accosté en Amérique du Sud… et changé la face de la géographie !!!! Et le reste !
Ma préférée reste quand même Catherine II « de Russie »… cette charmante jeune-femme trouvait que son mari était trop mou et faisait courir la Russie à sa perte. Elle séduisit à peu près tous les généraux de l’armée, et fit étrangler le mollasson (le dit époux)… en déclarant que le pauvre homme (qui était tout bleu, avec la langue pendante parce que bon, étranglé quand même !) était mort d’une… crise d’hémorroïdes purulente… On peut discuter ses méthodes, mais en attendant elle a conduit la Russie au rang des grandes puissances… où elle est encore de nos jours…
Et on en a quelques uns ainsi ! Le musicien sourd, Beethoven !!!! Vous entendez vos parents s’extasier sur ses symphonies… vous savez pourquoi il était sourd ? Parce qu’il avait trop fait la fête !!!! Ben oui… le jeune-homme buvait beaucoup (et à l’époque, le vin était stabilisé avec des extraits de plomb… empoisonnement aux métaux lourds, surdité…) et… aimait les aventures avec des belles jeunes femmes qui en faisaient leur métier… la syphilis ne l’a pas beaucoup aidé… mais c’était un génie !
Et c’est là que je veux en arriver : si vous êtes génial, vous pouvez être pénible ! Ils vous haïront, ils essaieront de vous rabaisser… mais il demanderont grâce car ils ne pourront pas faire sans vous… si vous êtes médiocre… ben… c’est plus compliqué…
Et ne vous dites pas qu’il faille être un génie en tout (ou à l’école !)… Einstein était un cancre fini, mauvais en tout en classe… et on parle de l’homme qui, au début du 20e siècle, quand tout le monde croyait que la physique était complète… a découvert (en vrac) : la relativité, les limites de la vitesse de la lumière, la théorie de l’évolution de l’univers, le big bang et… accessoirement la bombe atomique ! Ok, il était pas seul pour ce dernier joujou, Oppenheimer était de la partie mais bon… On parle d’un simple technicien, que tout le monde prenait pour un guignol, et qui a obtenu le prix Nobel pour ses travaux sur l’effet photoélectrique (si vous ne savez pas ce que c’est, allez voir Wikipédia ou mieux, ouvrez un Science et Vie Junior : c’est le début de la mécanique quantique, rien que ça !)
Je peux continuer longtemps sur ma lancée… pour ne pas que les demoiselles se sentent délaissées, je vais quand même citer la gentille Marie, Madame Curie, bien connue non seulement pour avoir eu 2 prix Nobel (la première fois que ça arrivait) mais pour être la première femme à les avoir eus… elle c’était la reine des emmerdeuses, une bad-girl avant l’heure ? Vous savez ce qu’elle faisait de ses connaissances en chimie ? Elle les utilisait pour fabriquer des bombes qu’elle envoyait aux activistes polonais (ils réclamaient leur indépendance vis-à-vis de la Russie)…
Alors par pitié ! Réveillez-vous ! Trouvez votre « stuff », votre « mojo », ce qui vous parle, ce qui vous fait triper… et exploitez-le ! Ouvrez-même une oreille attentive lors de vos cours… qui sait, un truc ou l’autre pourrait s’avérer intéressant… et vous donner une clef pour demain. ¨Parce que je ne sais pas pour vous, mais je préfère faire sauter une frontière, découvrir une contrée lointaine ou trouver le moyen – quitte à tricher, pourquoi pas ? – de voyager dans l’espace, que de rester mon derrière vissé sur ma chaise, même si la manière dont je jongle entre l’équilibre de cette dernière et la santé mentale de mes profs tient un peu – soyons modestes – du génie… c’est juste que je ne pense pas que ça me servira à grand-chose pour changer le monde… Et s’il y a une chose que je veux par-dessus tout, c’est de changer le monde dans lequel je vivrai… parce que bon, tant qu’à faire… autant que le futur soit à mon goût… »
Lémonia,
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